Depuis quelques années, le Festival de Cannes est scruté sous l’angle féminin, sinon féministe. Tout simplement parce que la Croisette a souvent été à la pointe de nombre d’avancées (politiques, techniques, philosophiques). Et qu’on attend logiquement de lui qu’il prenne les devants en matière de représentation des femmes, le cinéma reproduisant largement les inégalités qui handicapent le corps social.
Si chaque année à Cannes, quelques âmes chagrines accusent le Festival de reproduire les inégalités et déficits de représentation que nous connaissons tous les jours, les choses sont un peu plus compliquées. En effet, le Festival de Cannes dépend de la situation de la production internationale. Et ne peut, à lui seul, corriger les manquements d’un système sur lequel son influence est très indirecte.
En revanche, les différentes sélections s’efforcent de mettre les femmes (réalisatrices, actrices, productrices, scénaristes) à l’honneur, à l’écran ou dans les différents jurys. Une tâche loin d’être évidentes, puisqu’elles représentent en moyenne 7% des personnels impliqués dans la fabrication des longs-métrages aux postes de mise en scène et production.
Du coup, on s’est dit que pour notre focus cinéma de la semaine, il n’était pas inutile de revenir sur les femmes de la Croisette, avec 5 propositions fortes : une cinéaste, une révélation, un sacre, un gros ratage et un portrait brut.
Une cinéaste : We Need to talk about Lynne Ramsay
Avec We Need to talk about Kevin, Lynne Ramsay avait bouleversé pas mal de spectateurs, grâce à son implacable radiographie d’une famille dysfonctionnelle. Obsédée par la figure du mal, la question de son existence, la réalisatrice a surpris tout le monde et signé le plus incroyable film de la Compétition officielle (n’en déplaise au gros Pedro).
Dans You Were Never Really Here, elle colle aux basques de Joaquin Phoenix. Vétéran de l’armée américaine, qui travaille clandestinement à la récupération d’enfants kidnappés. Lorsqu’il est chargé de récupérer la fille d’un politicien happée par un réseau de prostitution, ses traumas, sa rage et ses démons l’emportent dans une spirale infernale.
Écartelé entre une enfant contaminée par l’horreur et une mère à l’ouest, Joe tente de sauver son univers des tueurs lancés à ses trousses. Ni véritable cauchemar, ni film d’action, ni trip arty, le chef d’œuvre de Ramsay est une merveille d’immersion et d’empathie. Et prouve avec brio qu’elle est une des plus puissantes scénaristes en activité, et qu’un paquet de bonshommes seraient inspirés d’apprendre de sa formidable gestion de l’espace et du montage.
Une révélation : Ava bien pour Léa Mysius et Noée Abita
La Semaine de la Critique aura offert au Festivaliers, un an après Grave, une double révélation : celle d’une actrice et d’une metteuse en scène. Dans Ava, une jeune fille de 13 ans, qui passe l’été en Corse avec sa mère, apprend qu’elle va rapidement devenir aveugle.
Ce qui pourrait n’être qu’un récit déchirant, un mélo de plus, se transforme en poème solaire, surpuissant de sensualité, bourré d’idées de cinéma. Une ode à la fragilité des sentiments, du corps et de l’âme. Ou comment réinventer le cœur adolescent en une poignée de plans.
Et en plus, nous n’aurons pas à attendre trop longtemps après Cannes : ça sort dans les salles au mois de juin. Ne loupez pas Ava, premier film incroyable de Léa Mysius.
Un sacre : gloire à Kruger
Voilà une curiosité. Pendant des années, Diane Kruger a été considérée par une partie de la presse cinéma (largement masculine, rappelons-le) comme une gentille blondasse tout juste bonne à porter de jolies robes. Quitte à ce que personne ou presque ne se penche sur ses choix de cinéma radicaux et les petits films auxquels elle donnait leur chance.
C’est donc un grand bonheur que de la voir reconnue à sa juste valeur, et par un panel international. Diane Kruger est une comédienne issue de l’âge d’or du cinéma classique, à la précision chirurgicale et à la beauté sculpturale. Et capable de mener de front subtilité intérieure et puissance émotionnelle. Bon, on regrette un peu que ce soit dans le film de Fatih Akin, qui est tout pété et dont le discours mongolo-réac est d’une bêtise à pleurer.
Un gros ratage : la story Instagram de Coppola
Il paraît que les critiques cannois ont la dent dure. Et bien devinez quoi, c’est vrai. Et pour le coup, Sofia Coppola a bien mérité une grosse volée de bois vert avec son remake qui renarde du fondement. Elle reprend ainsi, Les Proies de Don Siegel, chef d’œuvre de 1973, qu’elle débarrasse de son ambiguïté, de sa charge sexuelle et… de son discours féministe.
Un comble. Réalisatrice chouchoutée par les Festivals (en dépit d’une indifférence polie du public et d’un contenu artistique inexistant depuis son excellent Marie-Antoinette), Coppola, n’est plus Coppola. Elle ne raconte plus d’histoires, n’interroge plus l’image, elle fait désormais précisément ce qu’elle estime être attendu d’elle, quitte à désosser totalement son art.
La voilà donc qui transforme ses comédiennes en meringues blanchâtres, dans un décor de carton pâte, nimbé dans une photographie qui évoque un mauvais filtre instagram. Le récit original était un conte morbide où un soldat mutilé séduisait et affrontait un groupe de femmes toutes aussi troubles et manipulatrices que lui, en évacuant de son récit les thèmes de l’esclavage, de l’inceste et globalement la perversité de certains personnages féminins. Coppola ne féminise pas son scénario, elle l’amoindrit.
Un échec si total qu’elle s’avère incapable de retranscrire le trouble qui s’empare de ses héroïnes quand débarque dans leur demeure un militaire blessé. Ici un Colin Farrell en pleine descente de carambars. Bref, c’est un cauchemar de produit estampillé « féminisme cool », aussi authentique que la déclaration d’impôts d’un banquier d’affaires.
Un portrait brut : la douceur Loznitsa pour Vasilina Makovtseva
Le réalisateur Sergei Loznitsa (Dans la Brume, Le Bannissement) est un des auteurs Russes les plus puissants et intéressants de sa génération. Forcément, quand il se penche sur le calvaire de l’épouse d’un prisonnier bien décidée à comprendre pourquoi les colis qu’elle adresse à son mari lui sont retournés par l’administration pénitentiaire, on est sacrément curieux.
Et c’est à un portrait de femme, ainsi qu’un réquisitoire ultra-violent sur la continuité de l’inhumaine politique soviétique qu’il nous convie. C’est avec une impressionnante dignité et une rigueur esthétique impeccable qu’il s’attache au lent combat de Vasilina Makovtseva. Pour sûr, on aimerait voir plus de réalisatrices en compétition à Cannes, mais quand tous leurs petits collègues mâles traiteront de leurs personnages féminins avec autant de soin, on aura déjà pas mal progressé.
Attention toutefois, Une Femme Douce, en salles le 16 août prochain, est une véritable épreuve. Intelligent mais aride, puissant mais implacable, ce récit est en outre d’un nihilisme et d’une radicalité qui rendront son visionnage inoubliable mais dévastateur.
Cette année encore, un Festival de Cannes, plein de contrastes, donc. Mais surtout plein de belles choses et de plus en plus de femmes sur la Croisette et pas seulement pour leurs robes haute couture. Ça fait du bien.
Simon, c’est la caution ciné de BOBONNE ! Rédacteur en chef du site Ecran Large depuis deux ans, Simon mange, boit et rêve cinéma ! Son péché mignon ? Les films bizarres et mal élevés !
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