L’écriture inclusive est un des sujets du féminisme qui fait définitivement débat. Mais pourquoi ? Nous revenons sur les fondements de son existence et son utilisation, les critiques à son encontre et sa diabolisation par ses détracteurs pour essayer de répondre à une seule question : l’écriture inclusive est-elle une des priorités du féminisme ou non ?
Il y a quelque temps, je me suis rendue à la première conférence du club des Glorieuses. Une soirée à l’image des Glorieuses : pertinente et bienveillante. Plusieurs intervenantes étaient présentes afin de s’exprimer sur la notion d’engagement (féministe) dans leur quotidien.
Puis sont venues les questions au public. Le seul homme de l’assemblée, en toute bienveillance, a demandé ce qu’elles pensaient de l’écriture inclusive. Preuve que cette question taraude nos amis de la gent masculine. On les comprend. Puisque le débat divise, il est tout à fait légitime d’essayer d’obtenir un positionnnement clair. Résultat des courses, Lisa (Gachet), Melody et Grâce (les intervenantes) l’utilise ou ne l’utilise pas mais n’en font pas un drame ou un cheval de bataille.
Revenons sur ce fameux débat (ou pas) qu’est l’écriture inclusive !
Pourquoi l’écriture inclusive ?
D’où vient-elle ?
Du latin au français
Il faut savoir que feu le latin comprenait trois genres : les deux que nous connaissons et le neutre. Ce dernier s’est, au fil du temps, confondu avec le genre masculin, pour n’en fonder qu’un. Nous nous sommes alors retrouvé avec deux genres.
Richelieu
C’est notre cher Richelieu qui, sous Louis XIV a décidé d’uniformiser la langue française dans le but de pouvoir transmettre plus aisément les règles administratives.
C’est à ce moment précis que le masculin a décidé de l’emporter sur le féminin. Règle parmi tant d’autres qui a pourtant été au coeur des débats à l’époque, puisque jugée inégalitaire (no shit Sherlock!). Gilles Ménage rapporte ainsi une conversation avec Madame de Sévigné :
« Madame de Sévigné s’informant sur ma santé, je lui dis : madame, je suis enrhumé. Je la suis aussi, me dit-elle. Il me semble, Madame, que selon les règles de notre langue, il faudrait dire : je le suis. Vous direz comme il vous plaira, ajouta-t-elle, mais pour moi, je croirais avoir de la barbe au menton si je disais autrement »
Les années 70
Dans les années 70, les féministes apportent en France l’idée du langage épicène, langage dit « non sexiste » ou « dégenré ». Depuis, quelques mesures ont été prises dans ce sens (par exemple la féminisation des titres et fonctions et, d’une manière générale, le vocabulaire concernant les activités des femmes). Mais sans aboutir à un changement profond de la langue et surtout une proposition concrète d’égalité grammaticale de la langue française. Il faudra attendre 2016 pour qu’une agence de communication propose un Manuel d’écriture inclusive.
Pourquoi est-elle un des débat du féminisme ?
Pour l’écriture inclusive
Nous le savons les inégalités entre les hommes et les femmes proviennent en partie de la façon dont nous abusons des stéréotypes et des critères administrés à chaque genre. Les petites filles sont douces, sages, maternelles, chouinent pour un rien et aiment le rose et les garçons sont forts, brillants, ne pleurent jamais et aiment le bleu. Barbie infirmière vs GI Joe. Le conditionnement se fait dès la plus tendre enfance.
Aussi, lorsqu’il s’agit d’apprendre à communiquer par notre belle langue qu’est le français, il nous est clairement dit : « le masculin l’emporte sur le féminin ». Aie. Pourquoi ? Parce que Richelieu avait la flemme d’établir un genre neutre.
Dans cette logique, il est tout naturel de remettre l’église au centre du village (je suis sûre que Richelieu aurait apprécié cette formule) et de se dire Ô injustice, changeons les choses. À coeur vaillant rien d’impossible, la langue française doit évoluer avec son temps et le temps est à l’égalité.
Contre l’écriture inclusive
À coeur vaillant rien d’impossible, mais la tâche n’est pas simple pour autant. La proposition existant actuellement, soyons honnêtes, n’est pas satisfaisante. Les règles de l’écriture inclusive en vigueur faisant usage de tiret ou de point médian proposent un rendu de lecture fort désagréable. Quant à son utilisation à l’oral, elle est carrément impossible en l’état.
« On doit revenir aux fondamentaux sur le vocabulaire et la grammaire, je trouve que ça ajoute une complexité qui n’est pas nécessaire ». Jean Michel Blanquer.
Il faudrait donc idéalement se pencher sur une nouvelle proposition. Mais est-ce une priorité ?
Les féministes sont dans l’ensemble en faveur d’une proposition égalitaire de la langue, à commencer par une proposition officielle des féminisations des métiers et des fonctions.
Certaines utilisent l’écriture inclusive car elles en ont fait leur cheval de bataille, d’autres non car elles se penchent sur d’autres sujets (on ne peut pas être partout à la fois). Le sujet fait bien partie de la longue liste des actes de progression du féminisme, mais il n’est pas la priorité de toutes.
Sa diabolisation par ses détracteurs
On se demande ainsi pourquoi l’écriture inclusive fait autant de bruit ? Et bien la réponse est assez simple, il est plus facile pour un(e) anti-féministe médiatisé mais sans argument de décrédibiliser le mouvement en utilisant un sujet sans conséquences majeures plutôt que de se positionner sur des sujets délicats. Je m’explique.
Médiatiquement, politiquement, lorsqu’il s’agit de décrédibiliser les féministes, il est coutume de prendre position sur un sujet comme l’écriture inclusive plutôt que sur les inégalités de salaires. Il est plus facile de réduire le féminisme à des débats « légers » et « sans importance » plutôt qu’à une véritable cause urgente.
Voir notre article « Aubade et le féminisme : un tweet culotté sans queue ni tête ».
Effectivement, l’impact des inégalités liées à la langue française n’a pas été prouvé, il est donc facile de la contredire. En revanche, concernant les autres thématiques, il existe des statistiques officielles. Les inégalités de salaire, la représentation des femmes dans le corps politique ou médiatiques, les lois discriminatoires, les violences à l’encontre des femmes, le harcèlement de rue et j’en passe.
Aussi, résumer le féminisme à l’écriture inclusive et oublier le « reste » (et faire passer les militantes pour des chieuses hystériques qui crient au loup pour rien) en arrange plus d’un.
La conclusion de Bobonne
Lors de la conférence du club des Glorieuses, la question qui a suivi quant à l’écriture inclusive était la suivante : Enfant, avions-nous été choquées d’entendre que le masculin l’emportait sur le féminin ? La réponse est non.
Il faut revoir nos priorités
Il y a un premier critère qui réside dans le fondement propre de l’enseignement : nous ne remettons pas en doute ce que l’on nous apprend. Aussi, lorsqu’on nous dit que le masculin l’emporte sur le féminin. On dit oui. Point.
Mais pas uniquement. Tout comme notre esprit critique n’est pas stimulé, en CE2, nos préoccupations principales sont autres que remettre en question les règles de grammaire.
Personnellement j’étais relativement inquiète de savoir comment Sailor Moon allait s’en sortir mais pas vraiment préoccupée par l’égalité entre les hommes et les femmes. Peut-être aussi parce que je vivais et vis encore dans une famille de femmes fortes et indépendantes et que pour moi, le monde était ainsi fait (spoiler alert, en fait, non !).
Tout comme enfant, je ne faisais pas de l’égalité grammaticale ma priorité, aujourd’hui non plus. Aujourd’hui j’estime que nous devrions tout d’abord nous pencher sur les sujets prioritaires que j’ai précédemment cités. Ceux qui mettent en danger les femmes, qui les empêchent de s’émanciper, de travailler, d’accéder à certains postes, à disposer de leurs corps, à marcher en sécurité dans la rue, etc…
Un sujet qui ne doit pas être abandonné mais travaillé et planifié
L’application de l’écriture inclusive, une révision profonde de l’enseignement de la grammaire, voire une transformation de la langue, est un chantier qui devra être mené à bien. Mais pas sous cette forme et pas maintenant. Il est même possible que cette évolution de la langue se fasse naturellement, l’usage primant sur les règles.
Mais aujourd’hui, il est nécessaire que les femmes atteignent en priorité une égalité de droits et de traitement. Ensuite il sera temps de parler de question de genre et de langue. Tout est lié, bien évidemment, l’inconscient patriarcal est ancré dans notre façon de penser et d’agir, mais au risque de provoquer une overdose de féminisme qui desservirait la cause, choisissons nos combats.