Elle est à un tournant de sa vie.
Quand Britney a craqué en 2007, elle était à un tournant de sa vie. Quand les Spice Girls se sont séparées et que Victoria s’est lancé dans la mode, elle était à un tournant de sa vie. Lorsque Marie Curie s’est vu remettre, non pas un mais deux Prix Nobel, elle était à un tournant de sa vie. Lorsque Marguerite Duras a écrit « L’amant », elle était à un tournant de sa vie.
On utilise cette phrase un peu à tort et à travers, sans savoir si réellement Britney, Vic’, Marguerite ou Marie était à un tournant de leurs vies. Qu’en savons-nous ? Après tout c’était peut-être juste l’évolution logique de leur vie.
Je crois que lorsqu’on parle d’un tournant, il y a cette notion de changement profond et intrinsèque.
Je crois que je suis à un tournant de ma vie. Peut-être est-ce dû à l’âge, peut-être au vécu. Je dirais qu’il est lié au vécu.
Je me suis re-connectée avec mon véritable moi. Celui qui aimait la culture, les combats, la littérature, l’écriture. Celui qui est intéressé par les gens, l’expérience, le goût de la vie, les choses simples.
J’ai dérivé quelques années, influencée par l’école de commerce, le monde de l’entreprise, le marketing et la communication. Je voulais « être quelqu’un » aux yeux de la société, avoir un poste important, vivre à New York, gagner de l’argent.
Je veux toujours gagner de l’argent, pas pour dire que j’ai de l’argent mais pour le dépenser. Car j’aime dépenser de l’argent. J’aime la mode et les voyages, j’aime les beaux appartements et les bons restaurants. J’aime le théâtre et je voudrais voir plus d’opéras et de ballets. Et pour tout ça il faut de l’argent. Je n’ai plus peur de dire que j’aime ce genre de vie. Je ne trouve pas mes besoins superficiels. Je les trouve sains. La culture, les voyages nous aident à comprendre le monde, à prendre de la hauteur, à devenir plus sages.
Depuis quelques années je me suis donc re-connectée à moi-même. Beaucoup de gens pensent que mon copain à cette bonne influence sur moi, puisque c’est quelqu’un de très cultivé. Et beaucoup de gens, de connaissances me voit encore comme cette petite rigolote qui aime faire la fête et ne pas trop étudier. Ce n’est pas parce que c’est ce que je vous ai montré que c’est ce que je suis.
Par ailleurs, je ne voudrais pas ressortir ma carte féministe et pointer du doigt que les gens pensent encore qu’il aura fallu qu’un homme apparaisse dans ma vie pour me guider sur le chemin de la culture mais… Ah ben si, je viens de le faire. Non, je pense que j’ai choisi cet homme parce qu’il correspond à ce que je suis aujourd’hui… À ce que j’ai toujours été d’ailleurs mais que j’avais enfoui.
Nous vivons dans un monde compliqué. Un monde où Trump est Président des Etats-Unis, ou les extrêmes montent en puissance et surgissent un peu partout dans le monde, où les crimes homophobes et racistes existent encore et persistent, où les droits des femmes sont encore bafoués, où des citoyens sont obligés de revêtir des gilets jaunes dont la fonction est ironiquement sécuritaire à la base et de manifester pendant des semaines pour daigner se faire entendre. Nous vivons dans un monde où Jul (le « rappeur ») existe, ou un débat national est animé par une secrétaire d’état et un animateur télé très (trop) largement controversé, où l’IVG est remise en question et enfin nous vivons dans un monde où la plupart des gens déversent leur haine sur les réseaux sociaux sous couvert d’anonymat. Joli tableau.
Dans ce monde compliqué, j’ai enfin trouvé ma place. J’ai enfin réussi à percevoir ce qui m’importait réellement. Je me sens différente, je me sens révoltée, je me sens apaisée. J’ai changé. Je suis arrivée à un tournant de ma vie.
Et c’est une bonne chose. Une très bonne chose.
J’ai été élevé par des gens qui ne se ressemblaient pas. J’ai voyagé. J’ai rencontré dans ma vie des gens aux parcours et expériences multiples. J’ai travaillé dans différents secteurs. Je me suis éloignée de ma culture pour faire de la place à une autre. Cela m’a permis de me détacher de tout ce qu’on m’avait enseignée pour me construire mon propre enseignement, ma propre façon de voir le monde, de le comprendre, de me l’approprier. C’est à ce moment-là que j’ai quitté mon job, me suis plongée dans le féminisme (en toute logique lorsqu’on observe notre monde détaché de tout enseignement) et j’ai créé Bobonne. Parce que Bobonne me ressemble entièrement, profondément et reflète ce tournant dans ma vie. C’est la vitrine non pas d’une évolution, mais d’un tournant.
Rien n’est parfait. L’essentiel réside dans le fait de savoir quelles sont nos priorités.
Je voulais un quotidien constitué de débats intellectuels et en premier lieu avec moi-même d’ailleurs puisqu’avant de traiter un sujet sur Bobonne, j’essaie de me forger une opinion sur ce sujet. Je n’ai toujours pas tranché sur le port du voile, la prostitution et la pornographie dans le féminisme par exemple, tant ces sujets sont complexes et demande une vraie recherche et un temps de réflexion conséquent.
Je voulais également un quotidien fait d’humour, d’écriture, de rencontres, de littérature, de féminisme, de mode. Je voulais transmettre de l’information, des messages, des valeurs… Et je voulais par-dessus tout le faire à ma manière. Cette liberté a un prix elle s’appelle la prise de risque. Pour vivre cette vie, j’ai dû l’inventer. Prendre toutes mes envies, ma vision, mes convictions, les coucher sur le papier et en faire quelque chose. J’ai donc observé que jamais en entreprise, salariée, je pourrais vivre cela. Que je serais toujours frustrée par les directives d’un patron, d’un supérieur. Son entreprise, son argent, sa vision, ses rêves, ses décisions. J’ai réalisé alors que les contraintes du monde de l’entrepreneuriat, malgré toute ses difficultés auraient moins d’impact sur les attentes que j’avais, que celles du salariat. J’ai priorisé.
Observer, prendre de la hauteur, comprendre, savoir, se connaître, prioriser, décider. Ce sont les clés non pas du bonheur, ni d’un monde parfait mais d’un équilibre. Et avancer dans ce monde en équilibre c’est quand même plus facile.