Tarana Burke est militante américaine, notamment directrice des programmes Girls for Gender Equity et ‘last but not least’ – pour emprunter la langue de Shakespeare quelques instants – elle est également à l’origine du très célèbre mouvement ‘me too’. Alyssa Milano n’a fait que Twitter l’idée. Et c’est déjà énorme parce qu’une idée aussi brillante soit elle, si elle reste silencieuse, importe peu.
Get up.
Stand up.
Speak up.
Do something.
Les plus sceptiques, les plus cyniques même (et surtout) ne mesurent pas l’importance de ces mots. Ils sous-estiment le pouvoir des mots simples d’ailleurs, préférant les grandes tirades incompréhensibles et si subtiles qu’elles ne sont comprises ou intégrées que par un bien faible troupeau d’intellectuels en besoin de réassurance. Il est si facile de galvauder une pensée exprimée au travers d’un langage simple. Il si facile de ridiculiser les mots, de s’en moquer et de conclure qu’ils n’apportent rien.
En revanche, il est plus difficile de se moquer de l’action qu’aura entraînée un mot. Car c’est bien le but recherché des phrases simples érigées en slogan. Elles fédèrent, elles donnent de l’espoir, elles rassemblent et elles donnent la force d’agir.
Nous vivons dans un monde où les femmes n’ont pas existé aux yeux de la société pendant des années voire des siècles ; dans un monde où l’Histoire ne parle pas d’elles ; dans un monde où leur parole fut empruntée mais jamais rendue ; où l’accès à l’égalité leur est encore refusé ; où les féminicides existent et persistent; où le patriarcat règne en maître n’offrant qu’un plafond de verre comme seule issue de secours. Cependant, celles qui ont réussi à changer le cours des choses sont celles qui un jour se sont levées, ont pris position, ont parlé, ont fait quelque chose.
Et pourtant ces mots simples sont une montagne pour certaines. Prenons ‘get up’ : se lever. Cela semble si facile pour vous, pour moi.
Et pourtant, allez dire à la victime de viol de se lever le matin. Allez dire à celle qui s’est endormie sous les coups de son conjoint de se lever le matin. Allez dire à celle qui après 20 ans de bons et loyaux services dans une entreprise se voit refuser le poste mérité parce qu’elle est une femme, de se lever le matin. Allez dire à celles qui se font insulter à longueur de journée pour avoir assumé leur orientation sexuelle de se lever le matin. Allez leur dire de se battre, de prendre position, de parler, de faire quelque chose quand elles sont seules et abandonnées des institutions, de la justice, de la société. Dites-leurs de se lever lorsqu’elles ont déjà du mal à se relever. Prenez conscience du poids de ces mots, que vous trouviez pourtant si simples.
Se lever est parfois une victoire. Se lever de son lit comme se lever contre les injustices. Ce ne sont pas des mots choisis au hasard, ce ne sont pas des phrases toutes faites. Tout comme ‘Me too’, n’est pas une formule que l’on peut moquer.
C’est tellement facile de parler à la place des autres, c’est surtout plus facile que parler en notre nom (speak up). En France particulièrement, c’est notre passion. Nous sommes les champions toutes catégories des débats qui ne débouchent sur rien mis à part flatter nos egos surdimensionnés et étaler nos savoirs médiocres. Passer des heures à table, autour d’une bouteille de vin et se vanter de savoir ce que l’on aurait fait à la place de l’autre. Nous nous rassurons comme nous pouvons de nos vies pleines d’inactions. Nous, tout ce qu’on fait c’est se lever de table pour aller chercher une autre bouteille et se dire qu’on ne comprend pas comment après tant de temps notre voisine n’arrive pas à se relever. Prenez sa souffrance l’espace d’un instant et taisez-vous. ‘Time is up’ comme dirait Oprah.
Ne vous méprenez pas, le cordonnier étant toujours le plus mal chaussé, je m’assène les mêmes reproches.
Nous ne sommes pas tous des Tarana Burke. Mais nous pouvons au moins faire preuve d’un peu plus de bienveillance (un autre mot bien trop galvaudé) et nous pouvons également encourager toutes les femmes à se lever, prendre position, parler. Et il est en notre pouvoir de faire quelque chose comme aller marcher le 23 novembre contre les violences faites aux femmes. C’est déjà un début. Et pour celles qui souffrent, celles à qui l’on répète sans cesse qu’elles se ‘victimisent’ (tiens encore un sujet pour ceux à qui rien n’est jamais arrivé) : courage.
Vous l’aurez compris, ces mots – aussi simples semblent-ils – sont la base de tout. Le jour où les femmes n’auront plus peur, où elles oseront se lever, prendre position ou tout simplement parler en leur nom et ce, dans leur quotidien. Alors les choses changeront.